Nous avons donc, Chaton et moi, rencontré ses professeurs hier soir.
La catastrophe. Il faut dire que, depuis un mois (depuis l'époque de son
escapade russoïdesque), il est complètement démotivé, et décidé à arrêter le lycée, qui
vraiment le gave. Quoi faire à la place? "
ben... je sais pas, peut-être bosser dans l'animation..." Rien de concret, ni de réaliste. Et une ignorance totale de l'existence du chômage des jeunes... a fortiori au fin fond de la campagne, et quand ces jeunes n'ont pas encore 17 ans, et pas le moindre diplôme...
Nous avons donc rencontré des professeurs découragés, décourageants, amers, unanimes quand il s'agit de mettre en avant ses "capacités" inexploitées, et sa démotivation. Les formules qui sont le plus souvent revenues:
"aucune organisation", "tu t'endors en cours", "tu t'endors pendant les contrôles" (sic!)
, "tu es ailleurs", "tu es doué mais ça ne suffit pas", "tu as une intelligence exceptionnelle mais tu ne l'exploites pas", "tu n'es pas gênant mais absent", "tu ne fais aucun effort", "si tu ne fais rien on ne peut rien pour toi", "tu ne fais pas ton travail", "tu ne prends jamais le cours", "la balle est dans ton camp", "qu'est-ce que tu vas faire maintenant?", "quel est ton projet?", "tu te réveilles au moment de sortir dans la cour", "qu'est-ce que vous prévoyez pour lui madame?", "si tu faisais un tout petit effort tu y arriverais sans problème", "tu te sabordes", etc, etc...
Seule exception, son prof de français, nettement plus positif, ils s'entendent bien ces deux-là, il lui a même dit "
allez, si tu fais un effort notable pendant deux mois, je fais en sorte que tu passes [en première]
, même si je dois trépigner au conseil de classe pour obtenir ton passage..."
Bon, bien sûr, il y a des nuances entre les discours de ses profs négatifs - ceux qui sont "prêts à", ceux qui ne vous écoutent pas, ceux qui sont vindicatifs, ceux qui sont abattus, ceux qui sont de mauvaise foi, les gentils, les méchants...
Et puis, nous avons rencontré le directeur du lycée. Qui, au lieu de se mettre "en face" de Chaton, s'est mis à ses côtés. Qui a essayé d'exposer la situation vue par Chaton, et non pas vu par un adulte qui lui fait face. Qui a dressé un tableau extrêmement sombre de cette situation, sombre et réaliste. Puis qui a envisagé la suite, toujours aux côtés de Chaton, et en s'assurant que celui-ci ne décrochait pas. Qui a constaté qu'il s'agissait d'une impasse. Sans jugement de valeur, mais comme un constat, toujours en s'assurant de l'adhésion de Chaton. Qui a donné les raisons
subjectives qu'avait Chaton de se mettre dans cette impasse. Par rapport à son âge, à son intellect, à sa révolte. Puis qui a dit qu'on ne pouvait pas rester dans une impasse. Et qu'on devait en sortir. Toujours avec Chaton à ses côtés. Puis qui lui a parlé de ses profs, mais de son point de vue à lui, juste en corrigeant le focus, en l'amenant à envisager leur point de vue à eux. Leur sentiment d'échec. Leur impuissance. Que faire alors? Qui lui a montré que c'était à lui de faire un pas. Juste un pas... Que cela changerait les choses. Que cela vallait le coup d'essayer. De faire cet effort-là. Qu'il était prêt à l'aider, quand il voulait, qu'il serait là. Qu'ils feraient le point tous les deux dès jeudi. Et de poursuivre. Que tout était encore possible.
C'était admirable. J'ai vu, au fur et à mesure de cet échange, mon fils, abattu, découragé et morne, se regonfler, redresser la tête, sourire, acquiescer, renchérir, puis s'engager, remercier... un homme bien.